Dans son précédent livre, Une vie nouvelle, publié en 1999, l'écrivain Turc Orhan Pamuk racontait un Orient gangrené par l'Occident via ce qu'il génère de plus aliénant : capitalisme et consommation. Aujourd'hui, ces frottements culturels Orient/Occident, il les fait remonter au XVIème siècle dans Mon nom est rouge, roman basé sur les microluttes d'un groupe de peintres miniaturistes, confrontant la tradition picturale ottomane (où la représentation des visages était interdite, ou tolérée mais avec des visages identiques) avec la modernité de l'école de Venise (une individualité des traits, des visages expressifs et singuliers). Avec, en background, fondamentalisme et Islam, résistance à la modernité et meurtres sauvages. Après le noir et le blanc de ses premiers titres (Le Livre noir et Le Château blanc), le rouge du sang coule dans le roman, en toute cohérence avec le pays dont il ne cesse de rendre compte. Sauf qu'un thriller, venant de Pamuk, on n'arrive pas à y croire : et si ces luttes esthétiques intestines dans un petit milieu de peintres miniaturistes servaient d'abord de prétexte pour déployer les questions sur la représentation picturale et littéraire qui le taraude ? Quoi qu'il puisse dire, Orhan Pamuk n'échappe pas à son pays. Ecrivain intrinsèquement turc, parce que ni vraiment à l'Ouest ni vraiment à l'Est, comme la Turquie contemporaine elle-même, dont le roman est le reflet parfait : à la fois oriental et occidental, traditionnel et moderne. Un hybride. Un conte philosophique servi par une narration contemporaine, éclatée, multiple et contradictoire : plus d'une dizaine de narrateurs prennent la parole, un chien, un cadavre, et un arbre y racontent même leur histoire : "Je n'ai pas une personnalité, j'en ai plusieurs", précise l'auteur. Avec cet axiome comme définition de l'écrivain, Pamuk ira jusqu'à laisser le dernier mot du roman à une femme, Shekuré (le nom de sa propre mère), qui conclut toute l'histoire en la transmettant à son fils Orhan (sic) : "Car Orhan ne recule, pour enjoliver ses histoires, et les rendre plus convaincantes, devant aucun mensonge." Ultime et magnifique paradoxe de la fiction : faire du mensonge un art pour faire entendre la vérité, dans une société qui a changé son histoire en mensonges.
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